Depuis ma première visite au belvedère de la falaise de l’Escalès, à 6 ans, et le choc de la rencontre avec les pelerins du monde vertical, je rêvais de pouvoir un jour grimper les parois de cette « merveille de la nature ». C’est chose faite !
L’escalade dans les Gorges du Verdon, un peu d’histoire
Le jeu de l’escalade (pas encore en libre) est arrivé assez tardivement dans les Gorges, bien après les ouvertures sur les parois toutes proches du Vercors, des Alpes, de Sainte-Victoire ou des Calanques de Marseille. Peut-être parce que les Gorges demandent une approche particulière : partir du haut pour remonter, à l’encontre des pratiques alors en vigueurs dans le cercle des alpinistes.
Les années 60 marquent un tournant, avec les premières explorations de grimpeurs décidés à sortir de nouvelles voies. Les parois du Duc (Les enragés – 1968), de l’Escalès (La Demande – 1968) puis du Couloir Samson (L’Offre – 1969) cèdent aux assaults de grimpeurs compétents, téméraires et sur-motivés. Ces précurseurs révèlent le potentiel incroyable des Gorges et vont attirer de nombreux ambitieux, qui au cours des années suivantes, parcours les kilomètres de falaises inexplorés à la recherche de nouveaux itinéraires, toujours plus difficiles : Luna Bong – 1970, l’Eperon sublime – 1970, La Castapiagne Rouge – 1972, ULA – 1972, La Chan-Thé – 1972, L’Estamporanée – 1974…
Des premiers itinéraires sont parcourus en libre (la corde et les points d’assurage servent à retenir une chute, pour arriver au sommet il faut uniquement se servir des aspérités de la paroi) : Necronomicon, le Triomphe d’Eros… C’est le début d’un âge d’or qui voit les grimpeurs les plus forts rivaliser d’audace. Le village tout proche de La Palud se transforme en terre promise pour tous ceux qui cherchent à affronter les parois intimidantes du Grand Canyon français.
Le Verdon
Prenant sa source à trois mille mètres d’altitude au col d’Allos il doit son nom à la couleur de son eau : un vert émeraude due au fluor et à des algues microscopiques qui donne en latin « viridum » ou « lieu verdoyant ». Depuis 1974, le cours du Verdon est segmenté par 5 barrages hydro-éléctriques qui ont nécessités l’engloutissement de plusieurs villages (comme par exemple Salles-sur-Verdon).
Géographiquement, il marque la limite entre les départements des Alpes-de-Haute-Provence et du Var.
L’UCPA et la démocratisation
L’escalade sur les falaises calcaires du Verdon est exigeante : vertigineuse, demandant concentration et précision et souvent une certaine dose « d’engagement » lorsqu’il faut soit même placer des protections ou s’assurer à des ancrages parfois séparés de plus de 10m… Cependant, depuis les années 80 et l’arrivée d’un centre UCPA à La Palud, des centaines de voies ont été équipées dans un style « moderne » (attention cependant aux déconvenues pour ceux qui ne grimpent qu’en salle), c’est à dire avec des points d’ancrage abondants et des relais bétons.
A l’instigation de Michel Suhubiette, directeur du centre à partir de 1986, des centaines de stagiaires parcourront les Gorges dans des voies devenues classiques (Afin que nul ne meurt – 1985). Ailleurs des voies sont rééquipées, les rendant plus accessibles (ou moins suicidaires selon l’interlocuteur), permettant à une nouvelle génération de parcourir les voies les plus mythiques.
Aujourd’hui le centre UCPA est toujours aussi actif, accueillant chaque année des stagiaires venu découvrir les joies de la Grande Voie.
Bruno Clément
S’il est un personnage actif dans les gorges ces dernières années c’est bien Bruno « Graou » Clément. Véritable « Gardien du Temple »(dixit Catherine Destivelle), c’est un peu le génie des falaises à qui tous les grimpeurs en pèlerinage viennent demander conseil. Avec plus de 500 voies ouvertes à son actif (dont il garde trace dans son cahier bleu), il donne depuis les années 90 un second souffle à ce site que lui et ses deux fils, Paulo et Tom, connaissent comme leur poche.
Officiant comme Guide à l’UCPA, il consacre la majorité de son temps à grimper, explorer, équiper. Une de ses voies porte d’ailleurs le nom des ses 3 passions : « les 3 p » à la grotte du Galetas – 8c+ (ou 9a selon les versions et les répétiteurs) pour « pan ( = mur d’entraînement), piano, perfo » ( = perforateur, l’outil de l’équipeur de voies en escalade).
Des voies faciles (Secteur « Au Revoir Zidane« , baptisé à l’annonce de la retraite d’un joueur de foot français bien connu), aux (grandes) voies mutantes (Tom et je Ris – 8b+, Dame Cookie – 8a+, Hulkosaure – 8b, Le suppositoire – 8b… et des centaines d’autres), l’infatigable Graou n’est pas prêt de raccrocher les mousquetons de si tôt.
En 2016, il travaille sur de nouveaux secteurs de son cru comme la Baume aux Couillons, en face de la Baume aux Pigeons, comptant déjà de belles longueurs dont un monstrueux 8b/c? de 80m (une seule longueur) qu’il n’a pas encore été enchainé et attend donc son libérateur ! Et d’après lui, le potentiel des Gorges est encore immense…
C’est en sa compagnie que j’ai eu le plaisir de découvrir mes premières grandes voies dans le Verdon : l’Offre – 6a (dièdres et fissures inhabituels pour les grimpeurs de salle), Au Revoir Zidane – 6a+ (et sa « fameuse traversée » qui demande un peu de sang froid), L’arrête de la Patte de Chèvre – 5b au Don de l’Aigle et sa magnifique vue sur le Lac de Sainte-Croix, l’Arrête du Belvedère – 6a+ dont la descente et certainement plus dure que l’ascension… et les moulinettes du Belvedère de la Carelle : Wide is Love – 6a, Cercopithèque – 6b+, Salta Minchia! C’è una Stella Che Cade – 6c+…

Graou dans le vent
Sources
Grimper Magazine – Hors Série Spécial Verdon (Topo par Bruno Clément)
Les Fous du Verdon – Bernard Vaucher aux éditions Guérin